Lettre académique : Innovation et covid : demain, rebelle ?

Chaque samedi, “Le Soir” publie la chronique d’un ou plusieurs membres de la Lettre académique. Cette semaine : il faut revoir l’écosystème pharmaceutique dans une perspective de santé publique, d’innovation médicale et de production résolument tournée vers le bien commun.

L’épisode interminable et douloureux du “covid” semble s’éloigner – du moins dans nos pays – nous commençons à respirer et à reprendre une vie normale. Le souvenir de ces longs mois d’attente pour un vaccin salvateur s’estompe. Nous pouvons à peine penser aux innombrables victimes dans le monde qui n’ont pas eu accès à temps à ces vaccins. Aujourd’hui encore, seuls 16 % des habitants des pays à faible revenu ont reçu au moins une dose de vaccin. Au contraire, on parle aujourd’hui d’une surabondance de vaccins, du moins dans les pays riches. Il y a trop de vaccins, beaucoup expireront bientôt et devront être détruits… D’autres, sans doute, espérons-nous, seront envoyés dans des pays sans argent qui manquent encore. En effet, le transfert de technologie et la levée des monopoles manufacturiers réclamés par plus d’une centaine de pays n’ont pas eu lieu et ne leur permettent toujours pas d’utiliser leur capacité de production pour leurs propres besoins. Cependant, le bénéfice de vacciner avec la première génération de vaccins est désormais plus incertain car le virus a muté. Décidément, la gestion de l’épidémie basée sur les lois du marché et de l’offre et de la demande continue de produire ses effets pervers. Lire aussi Coronavirus : la Belgique va lancer près d’un demi-million de doses de vaccin

Cependant, il est important d’être préparé pour les temps à venir. De nouvelles générations de vaccins pourraient être nécessaires contre des variants de virus, voire d’autres formes de coronavirus. Des géants pharmaceutiques tels que Moderna et Pfizer se préparent également pour une nouvelle campagne de vaccination à l’automne. Il y a fort à parier que, à travers des engagements de pré-achat, les Etats-Unis, l’Union Européenne et d’autres pays riches sont déjà en jeu… Comme d’habitude, le reste du monde va s’accommoder de leur plan. le fera certainement. bénéficier, en fin de parcours, d’excédents. Bref, tout est en place pour ne pas tirer les leçons du passé.

Mettre l’accent sur la santé publique ou sur les revenus ?

Reste à appuyer sur la touche : il est indispensable de changer de modèle. Nous n’avons plus à accepter qu’une poignée de sociétés pharmaceutiques aient le monopole de ces technologies critiques, de ces connaissances et de ces plates-formes technologiques sous-jacentes, et monopolisent l’offre. Ces entreprises rivalisent avec leurs technologies brevetées pour atteindre le marché en premier et décider à qui vendre, quand et à quel prix. Pour le développement et la fabrication de vaccins, va-t-on continuer à délivrer à ces entreprises, dont le but ultime est l’enrichissement de leurs actionnaires, des sommes faramineuses des contribuables sans poser aucune condition pour assurer le bénéfice maximum de la santé publique ? Cela a conduit à une inégalité d’accès aux vaccins qui a été décrite comme un “échec moral catastrophique” par le Dr Tedros, directeur général de l’Organisation mondiale de la santé. On peut tourner le problème dans tous les sens, un accès équitable aux vaccins est incompatible avec un marché monopolistique. Il existe également d’autres effets pervers dans ce modèle. Plus discrets, ils n’en sont pas moins redoutables. Comme toute entreprise commerciale, les géants pharmaceutiques ont intérêt à produire un produit unique, un vaccin qui peut être vendu à des milliards d’exemplaires. Il est beaucoup moins rentable d’affiner la recherche pour obtenir un vaccin plus efficace, ou mieux adapté aux spécificités régionales. En campant dans ses monopoles, la grande officine empêche les laboratoires publics ou les petits producteurs de chercher à s’adapter avec souplesse aux besoins sanitaires d’une épidémie. Ou tout simplement proposer des vaccinations aux populations sans argent à un prix plus abordable.

Sous les auspices d’Oxfam, des actionnaires minoritaires ont déposé des résolutions auprès de Moderna, Pfizer ou Johnson & Johnson appelant au partage de technologies avec des pays moins riches, ainsi qu’à l’octroi de permis de production de vaccins pour leurs populations. L’impact de la démarche restera symbolique car, étonnamment, elle a été rejetée.

Innovation médicale ? Oui, bien sûr, mais au service de la santé publique

Une question qui mérite d’être posée à nouveau. Qui décide quel médicament, quelle maladie, quel virus mérite d’être recherché et recherché ? Qui fixe le prix auquel les nouveaux médicaments ou vaccins seront vendus ? Autrement dit, qui détermine ce que la santé publique exige, ici et ailleurs ? En effet, ce sont aujourd’hui les laboratoires pharmaceutiques et plus encore leurs actionnaires, voire les fonds d’investissement, qui décident des priorités de recherche, et qui auront accès à ces nouvelles technologies et aux médicaments ou vaccins qui en découlent, quand et à temps. quel prix. C’est donc tout l’écosystème pharmaceutique qu’il faut avoir le courage de revoir dans une perspective de santé publique, d’innovation médicale et de production résolument tournée vers le bien commun. Sans le courage de corriger les effets pervers d’une approche fondée uniquement sur la logique marchande, le scénario d’accès à la prochaine génération de vaccins en développement sera-t-il aussi inégal que celui que nous avons connu jusqu’à présent ?

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